TRIBUNE « Le succès de la lutte contre le gaspillage alimentaire nécessite de trouver des réponses collectivement »
Notre réseau a signé cette tribune, publiée dans Le Monde le 29 septembre dernier. Cette dernière a été lancée par la sociologue Marie Mourad. Vous aussi pour pouvez agir en la signant et en la partageant !
Journée internationale contre le gaspillage alimentaire : continuons la lutte !
Ce 29 septembre, nous célébrons la journée internationale de sensibilisation au gaspillage alimentaire. Les signataires de cette tribune initiée par Marie Mourad, auteure de De la poubelle à l’assiette : contre le gaspillage alimentaire. Dix ans de lutte en France et aux Etats-Unis, appellent les pouvoirs publics, élus, professionnels et citoyens à aller plus loin pour lutter contre le gaspillage alimentaire en remettant sans attendre le sujet au cœur l’agenda politique.
Malgré les progrès réalisés en dix ans, nous gaspillons toujours près du tiers de notre nourriture
Dès juin 2013, des représentants d’entreprises, d’associations et de collectivités locales ont signé un Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire. Depuis, la France a adopté des réglementations ambitieuses qui en ont fait un leader sur le sujet. En 2016, elle a été le premier pays à adopter une loi nationale interdisant par exemple de détruire ou « javelliser » des denrées encore consommables et imposant aux supermarchés la signature de conventions pour donner leurs invendus à des associations de solidarité alimentaire. Ces dispositions ont ensuite été étendues à d’autres secteurs et complétées par d’autres mesures promouvant les bonnes pratiques anti gaspi. De nombreux établissements sont déjà engagés, et les plus exemplaires seront reconnus par un label anti-gaspillage alimentaire. Pourtant, alors même que l’inflation se ressent sur les prix des aliments et accentue la précarité, le gaspillage est toujours là. Avec plus de 130 kg (soit environ 240 €) par personne et par an en France, il représenterait 3% des émissions nationales de gaz à effet de serre.
Engageons plus de moyens pour la mise en œuvre efficace des réglementations
Faute de contrôles, les obligations qui reposent sur l’engagement volontaire des commerces ne sont en pratique pas toujours bien appliquées. Certaines associations se plaignent d’être devenues la « poubelle » des invendus, et de devoir jeter jusqu’à plus de 20 % des produits reçus. Cela pose d’autant plus problème que les donateurs reçoivent des incitations fiscales importantes (de l’argent public) rétribuant ces dons de produits abîmés, trop proches de leur date de péremption, ou simplement inappropriés sur le plan nutritionnel ou gustatif. Les pouvoirs publics doivent donc contrôler et sanctionner les commerces qui ne joueraient pas le jeu, soutenir davantage les dons de qualité et notamment ceux des agriculteurs, trouver des solutions et financer des moyens techniques et logistiques (camions réfrigérés, etc.) pour accompagner les acteurs de la redistribution.
Évitons de confondre lutte contre le gaspillage et lutte contre la précarité
Les avancées réglementaires ont contribué à l’émergence d’un marché fondé sur la valorisation économique de produits excédentaires jusqu’alors invendus, jetés, et sans valeur. De nouveaux modèles (applications et magasins antigaspi, optimisation des relations entre donateurs et associations, revalorisation de « moches », etc.) illustrent l’avènement d’une économie circulaire, essentielle à la transition écologique.
Ce marché de la lutte contre le gaspillage concurrence néanmoins certains dons, entraînant une baisse de leur quantité et qualité, au détriment des populations les plus vulnérables. Cette évolution rappelle que la redistribution d’excédents, aussi efficace et bénéfique soit elle, n’est pas une solution suffisante pour garantir un droit et un accès de tous, digne et équitable, à une alimentation de qualité. La lutte contre la précarité alimentaire, menée en synergie avec la lutte contre le gaspillage, doit rester une politique à part entière.
Redonnons vie au Pacte avec une nouvelle dimension
La prévention a été établie, y compris sur le plan réglementaire, comme la priorité en termes de lutte contre le gaspillage. Elle est préférable aux solutions de redistribution et de revalorisation qui tendent, paradoxalement, à pérenniser les surplus en leur offrant des débouchés. Mais s’attaquer à la source du gaspillage et prévenir les surplus nécessite des changements plus profonds, comme le rééquilibrage des rapports de force entre les différents acteurs du système alimentaire, de l’agriculteur au consommateur. L’accent doit aussi être mis, en amont, sur la formation professionnelle et sur la sensibilisation du grand public pour faire évoluer certaines habitudes de (sur)consommation.
Les chantiers sont donc nombreux et requièrent des outils variés. En plus des efforts reconnus par la certification anti-gaspillage alimentaire, des ajustements législatifs doivent aider à aller plus loin, comme l’extension des mesures sur le don, l’optimisation des incitations fiscales et des taxes sur les déchets. Mais il faut surtout davantage de moyens pour mettre en œuvre les réglementations et les solutions au niveau national et local, en s’appuyant sur les Projets alimentaires territoriaux, des associations et des réseaux tels que les REGAL qui coordonnent efficacement de multiples initiatives. Le travail de quantification et de prévention doit en outre être poursuivi en collaboration avec les institutions européennes.
Le succès de la lutte contre le gaspillage nécessite de trouver ces réponses collectivement, en mettant les acteurs concernés autour de la table : secteur alimentaire, de l’éducation, ou encore associations environnementales ou citoyennes. Nous, signataires de cette tribune, appelons les institutions nationales à assurer la tenue d’une troisième édition du Pacte national à l’arrêt depuis 2020. Redonnons vie à cette instance, avec plus d’ambition et de moyens. Engageons enfin les citoyens, qui, s’ils ne contrôlent pas les causes systémiques du gaspillage, peuvent contribuer à la transformation des systèmes alimentaires par leur consommation et leurs pratiques.
Pour que la France reste exemplaire en Europe et à l’international, ne laissons pas la lutte anti-gaspillage alimentaire s’essouffler !
Signataires au 4/10/2023 :
- Lucie Basch, co-Fondatrice de Too Good To Go France ;
- Philippe Bouyssou, Maire d’Ivry-sur-Seine et Président du Syndicat Intercommunal pour la REStauration COllective (SIRESCO) ;
- Dominique Brechon, co-Fondatrice de Framheim, cabinet d’étude spécialisé dans la lutte contre le gaspillage alimentaire ;
- Gérard Brochoire, Confédération nationale de la Boulangerie-Pâtisserie française ;
- Guillaume Clair-Caliot, Fondateur de Pas Perdu – Valorisation d’invendus ;
- Vincent Dantonel, co-Fondateur de Framheim, cabinet d’étude spécialisé dans la lutte contre le gaspillage alimentaire ;
- Stéphanie Dartigue, Fondatrice & Directrice de l’association Le Bocal Local ;
- Angélique Delahaye, Présidente de SOLAAL ;
- Sylvie Delaroche-Houot, Sens&Avenir, co-Fondatrice de l’Association nationale pour l’éducation au goût (ANEG) ;
- Sabrina Della Roma, Responsable de projets Aux Goûts du Jour ;
- Anne Didier-Pétremant, Fondatrice de De mon assiette à notre planète, administratrice de l’Association nationale pour l’éducation au goût (ANEG) ;
- Samuel Féret, Maire d’Arzal (56), Vice-Président Transition écologique d’Arc Sud Bretagne ;
- Vincent Garcia, co-Fondateur de Kikleo ;
- Guillaume Garot, ex-Ministre délégué à l’Agroalimentaire et député (PS) de Mayenne ;
- Antoine Gatet, Président de France Nature Environnement (FNE) ;
- Sylvain Girodon, Vétérinaire et Comportementaliste, membre du Comité Régional d’Étude pour la Protection et l’Aménagement de la Nature en Normandie (CREPAN) ;
- Christophe Hébert, Président de l’AGORES, association nationale des directeurs de la restauration collective ;
- Enora Houdayer, Pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) du Pays de Thiérache ;
- Florian Hug-Fouché, Consultant et chef de projets pour une transition agricole et alimentaire ;
- Guillaume Le Borgne, Maître de conférences en sciences de gestion, Université de Savoie ;
- Alexis Lemeillet, Fondateur et Président de Take a Waste ;
- Benoit Lemennais, membre du REGAL (REseau de lutte contre le Gaspillage ALimentaire) Normandie ;
- Charles Lottmann, Président des Épiceries NOUS anti-gaspi ;
- Valerie de Margerie, Présidente de l’association Le Chaînon Manquant ;
- Graziella Melchior, députée (RM) de la 5e circonscription du Finistère ;
- Clément Méry, co-Fondateur de Willy anti-gaspi ;
- Jean-Claude Mizzi, co-Fondateur et Trésorier d’HopHopFood ;
- Michel Montagu, co-Fondateur et porte-parole d’HopHopFood ;
- Jean Moreau, Fondateur et Directeur de Phénix ;
- Marie Mourad, Sociologue et Consultante spécialisée dans le gaspillage alimentaire ;
- Jonathan Negrin, co-Fondateur de Willy anti-gaspi ;
- Dominique Nicolas, co-Président du Centre Ressource d’Ecologie Pédagogique de Nouvelle-AQuitaine (CREPAQ) ;
- Manon Pagnucco, co-fondatrice de PimpUp ;
- Pierre-Yves Pasquier, Fondateur de Comerso ;
- Lauranne Poulain, Responsable des Affaires Publiques de Too Good to Go France ;
- Méleyne Rabot, Directrice de Too Good To Go France ;
- Pauline Robert Etcheto, Présidente d’HopHopFood ;
- Sophie Palauqui, Responsable des pôles RSE et marketing de l’Ilec-La Voix des Marques ;
- Richard Panquiault, Président de l’Ilec-La Voix des Marques ;
- Manon Pulliat, REGAL’im (Réseau pour Éviter le Gaspillage ALimentaire en région PACA) et La Coopération Agricole Sud ;
- Pierre Ravenel, Président de Excellents Excédents ;
- Patrice Robichon, membre de l’Académie d’Agriculture de France ;
- Maxime Sebbane, Ingénieur de recherche à l’Institut Agro de Montpellier, spécialiste du gaspillage alimentaire ;
- Frédéric Souchet, Directeur général des services du SIRESCO ;
- Antoine Tirot, Confédération Syndicale des Familles ;
- Anne Tison, co-Fondatrice et Directrice de Excellents Excédents ;
- Emmeline Verriest, co-Fondatrice et Directrice d’Aux Goûts du Jour ;
- Nathalie Villermet, Salariée de France Nature Environnement (FNE) et co-Animatrice du REGAL (REseau de lutte contre le Gaspillage ALimentaire) Normandie ;
- Gilles Vincent, Président d’AMORCE, réseau national des territoires engagés dans la transition écologique
Lien vers la tribune : https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/29/le-succes-de-la-lutte-contre-le-gaspillage-alimentaire-necessite-de-trouver-des-reponses-collectivement_6191578_3232.html